La concurrence d’un apprenti dès sa sortie du contrat d’apprentissage peut s’avérer dangereuse pour un artisan, surtout en ces temps de crise. Ce sentiment est d’autant plus fort que l’apprentissage consiste justement à former un jeune, à lui donner les moyens d’exercer une activité identique, d’où le sentiment que cette concurrence serait plus injuste ou déloyale que dans le cas d’un salarié.
Un apprenti peut-il s’installer juste en face de son maître d’apprentissage ?
A condition de ne pas lui faire une concurrence déloyale. Cette concurrence déloyale peut passer, par exemple, par le fait de solliciter directement les mêmes clients de l’entreprise ou d’utiliser un savoir-faire protégé ou spécifique à l’entreprise, de se présenter sous le nom ou la raison sociale de son maître d’apprentissage ou comme étant recommandé par ce dernier, voire de dénigrer le travail de son ancien patron…
Une solution à cette crainte peut passer – au même titre que dans un contrat de travail d'après une Réponse ministérielle (n°9888 : JOAN CR, 24 mars 1979, p.1951) – par la rédaction d’une clause de non-concurrence qui limitera les possibilités d’installation de l’apprenti à la fin du contrat d’apprentissage. Attention toutefois, cette clause ne doit pas avoir pour effet d'empêcher totalement l’apprenti d’exercer l’activité pour laquelle il s'est formé !
Les conditions de validité sont les mêmes que pour le contrat de travail :
- l’apprenti doit avoir eu une fonction importante dans l’entreprise et avoir eu connaissance d’éléments importants comme la comptabilité, la liste des clients, une recette de fabrication… qui justifie la clause en raison de la particulière dangerosité du salarié ou de l'apprenti pour les intérêts de l'entreprise. Dans la réponse ministérielle précitée, le Ministre affirme d'ailleurs qu'elle ne peut être envisagée "que pour des emplois de grande qualification nécessitant une formation particulière et susceptible d'entraîner une réelle concurrence".
En revanche, si l'apprenti s’est contenté de nettoyer les locaux ou d'enfourner les pâtons de pain, elle n’a aucune valeur ; c'est l'apport du célèbre arrêt Cass., soc., 14 mai 1992, n° 89-45.300, Godissart, dit "du laveur de carreaux" dans lequel les juges affirment "qu'en raison des fonctions du salarié, la clause de non-concurrence n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise".
- la clause doit être limitée quant à l’activité exercée, afin de ne pas complètement empêcher l'apprenti de travailler,
- limitée dans le temps, en général 2 à 3 ans pour les métiers de l'artisanat,
- et limitée dans l’espace, en général un rayon de 10 à 20 km pour ces mêmes métiers, mais tout dépend, bien sûr, du métier et du degré de "dangerosité" de l'apprenti...
- et, depuis une très célèbre série d'arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, (cf. ici) elle doit obligatoirement prévoir une contrepartie financière.
Pour en revenir aux enjeux des petites entreprises artisanales, deux difficultés majeures se posent au maître d'apprentissage qui souhaite imposer une telle clause à son apprenti.
Tout d'abord, la clause de non concurrence ne peut pas avoir pour objectif d'empêcher l'apprenti de lui faire concurrence, mais bien de l'empêcher de lui faire une concurrence déloyale. La différence est subtile et peut être difficile à concevoir. Le seul fait de former un jeune ne suffit certainement pas à légitimer une volonté de lui empêcher de faire concurrence. Le maître d'apprentissage devra plutôt favoriser le dialogue avec l'apprenti, le respect mutuel... autant d'éléments que le Droit ne peut pas appréhender... et probablement ne le doit-il pas !
D'autre part, elle doit obligatoirement prévoir – sous peine de nullité – une contrepartie financière, généralement une indemnité mensuelle fixée à hauteur de 30 à 60% du salaire mensuel moyen : c’est le « prix de la tranquillité ».
Alors certes, il existe des solutions un peu moins chères à l’usage… mais moins efficaces !
Une clause de confidentialité pourra utilement interdire à un salarié de divulguer certaines informations portées à sa connaissance, expressément identifiées comme confidentielles. Ces informations devront être listées par avance.
Une clause de non détournement de clientèle pourra être envisagée pour éviter que l’apprenti ne démarche activement les clients de l’artisan. Très difficile à manier, elle devra être correctement rédigée pour éviter qu’elle ne puisse être requalifiée en clause de non-concurrence obligeant au paiement de la contrepartie financière.
Dans tous les cas, la clause devra prévoir le paiement d’une indemnité forfaitaire en cas de violation par l’apprenti ; c'est ce que l'on appelle couramment la "clause pénale".
Il est conseillé aux artisans souhaitant imposer une clause de non-concurrence à leur apprenti de se rapprocher du service juridique de leur syndicat professionnel.
B.F.