PASSERELLE VERS LA PROFESSION D'AVOCAT

Le Décret n°2012-441 du 3 avril 2012 vient, à quelques semaines des prochaines échéances électorales, offrir le titre d'avocat aux "personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi".

Pour mémoire, le Décret 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat permettait déjà un accès facilité à la profession d'avocat pour un certain nombre d'acteurs juridiques en fonction des "activités précédemment exercées".
Ainsi bénéficiaient d'une dispense totale, les magistrats, conseillers de diverses juridictions, avocats près des hautes juridictions, avoués près les cours d'appel, les Professeurs d'Université chargés d'un enseignement juridique, sans condition de durée d'activité et sans que leur soit fait l'affront d'un test de connaissances en déontologie et réglementation professionnelle (art. 97 du Décret). Notons que le Décret du 3 avril 2012 a également exonéré ces éminents spécialiste du stage professionnel.

Était également partiellement dispensée une liste hétéroclite de professions parmi lesquelles figurent la plupart des professions juridiques libérales, les juristes d'entreprise, de cabinets d'avocats ou d'organisation syndicale, les enseignants d'Université n'ayant pas le titre de Professeur ou encore certains fonctionnaires (art. 98 du Décret). Cette dispense était soumise à une double condition de durée minimale d'exercice de la profession (variant de 5 ans pour les notaires à 8 ans pour les juristes d'entreprise...) et de passage d'un test de connaissances en déontologie et réglementation professionnelle.

Le Décret du 3 avril 2012 vient rajouter à l'article 98 un 8° concernant les attachés parlementaires, plus précisément les "collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions". Cela peut se justifier étant donné que l'activité de ces attachés parlementaires, dont l'action politique constitue le cœur de métier, est bien souvent juridique. Dans tous les cas, autant la durée minimale d'exercice de leur profession que l'obligation de passer le test de connaissances sont des garanties de connaissances et de compétences, au même titre que les juristes d'entreprise.

En revanche, le Décret du 3 avril vient d'autoriser les Parlementaires eux-mêmes à s'inscrire aux Barreaux.
Ainsi, est créé un nouvel article 97-1 au Décret libellé ainsi : "les personnes justifiant de huit ans au moins d'exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l'élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat".
Selon L. Dargent, in D. actualités du 5 avril 2012, "Nouvelles passerelles vers la profession d'avocat", la Chancellerie a passé outre l'avis du Conseil national des Barreaux et du Barreau de Paris qui "s'étaient [...] émus d'une initiative qu'ils considéraient comme décrédibilisant la profession d'avocats en l'ouvrant dans la précipitation et quasi automatiquement à la veille d'échéances électorales". "Devant l'insistance de la chancellerie, la profession avait indiqué qu'elle n'accepterait l'idée d'une telle passerelle que si son régime était aligné sur celui des collaborateurs et assistants parlementaires soumis à un examen déontologique." Le gouvernement n'en a pas tenu compte et a créé une passerelle, intermédiaire entre la compétence juridique reconnue et respectée des anciens Magistrats, Professeurs ou encore avoués dispensés à la fois de durée d'exercice et de test et les professionnels juridiques de terrain soumis à condition de durée et de test. Les Parlementaires sont soumis à une condition de durée, mais pas de test.

Participer à la rédaction de textes de loi revient-il à maîtriser leur mise en œuvre sur le terrain ? Est-on forcé de croire à ce parallèle systématique entre initiative créative (pour ne pas dire démagogique voire partisane) et application astucieuse (pour ne pas dire tendancieuse et orientée) de la loi ?
Les Parlementaires bénéficient d'un traitement d'exception, faits d'indemnités largement cumulables, de retraite rapidement gagnée, d'importantes rémunérations accessoires et d'une certaine immunité... Était-ce vraiment nécessaire d'aider ainsi une frange de la population - dont l'on sait, selon la théorie de la reproduction des classes de feu Pierre Bourdieu, qu'elle s'auto-reproduit - à se faire de nouvelles opportunités de gains et de carrière au détriment des 9,8% de population au chômage ? Et quid de l'élu municipal d'un petit village en zone rurale qui se bat pendant des années contre des lois inadaptées au contexte social en prenant tant bien que mal des arrêtés qui peuvent parfois le conduire si ce n'est en prison, au moins devant le tribunal administratif ? Celui-là n'aurait-il pas davantage gagné un titre d'honneur d'avocat du peuple, loin des salons dorés de nos chers palais... très chers ?

B.F.